Once upon a time... [Lie To Me/OS]

Washington, 20h30. Comme chaque soir, Emily Lightman rentrait de son travail. Il y a un mois, elle avait trouvé un emploi au tribunal et s'y rendait après ses cours à l'université. Dès qu'elle aurait terminé ses études, c'est-à-dire dans deux ans environ, si tout allait bien, elle pourrait enfin s'associer avec sa mère. En attendant, elle n'avait qu'une envie : s'assoir sur un fauteuil et se reposer, la journée ayant été dure. Quand elle ouvrit la porte, elle se retrouva en face de sa mère :

"Salut Maman !"
"Bonjour ma puce. Ça a été ?"
"Oh tu sais, les cours... toujours aussi barbant. Et au bureau, Me Wood est de plus en plus exigeant envers moi ! Mais bon... toi ça va ?"
"Bien sûr. La petite te réclame depuis qu'elle est rentrée de l'école !"

Zoe Landau, remarquant le regard de sa fille, anticipa la question qu'elle était sur le point de poser.

"Et oui, elle les a réclamés aussi... Je crois qu'il va falloir que tu lui expliques."
"C'est... je ne crois pas que je pourrais."
"Si je le pouvais, je le lui dirais moi-même. Mais c'est à toi de le faire."
"Je sais..."
"Je vais y aller. Si tu as besoin, tu m'appelles."
"Merci."

Elle déposa un baiser sur le front d'Emily et s'en alla. Cette dernière s'adossa à la porte que sa mère venait de refermer et leva les yeux au ciel. Elle savait que ce jour allait inévitablement arriver et elle ne se sentait pas encore prête à l'affronter. Pourtant il le fallait. Elle se débarrassa de ses affaires et rentra dans la chambre située au fond du couloir. La pièce était peinte en rose bonbon, les murs recouverts de photos de princesses et de posters des dessins animés Disney les plus récents. Des livres s'amoncelaient sur les sols et les placards regorgeaient de jouets. Au milieu de tout cela, sur son lit, se trouvait une petite fille de six ans aux longs cheveux blonds, portant un pyjama de Cendrillon. Un grand sourire apparut sur son visage lorsqu'elle vit Emily dans l'encadrement de sa porte et ses yeux verts s'emplirent de joie. Des yeux magnifiques, mais qu'Emily n'arrivait plus à regarder en face. Trop de souvenirs dès qu'elle croisait ce regard perçant. Il réveillait trop de choses d'un passé encore douloureux. Elle s'efforça de ne plus y penser.

"Salut Lisa ! Comment ça s'est passé à l'école ?"
"Super !"
"Qu'est-ce que tu as fait de beau ?"
"Avec Miss Kinnian, on a lu, elle dit que je me débrouille très bien ! Et avec Mr Gordon, on a dessiné !"
"Tu as dessiné quoi ?"
"Une souris. Une jolie petite souris, comme Minnie. Je sais bien les faire maintenant. Tu veux que je te montre ?"
"Pas ce soir ma chérie, il faut que tu dormes."
"Mais j'ai pas sommeil ! Raconte-moi une histoire, au moins."
"Non, c'est tard, demain il y a école."
"Papa me racontait toujours une histoire, lui."

Cette remarque bouleversa Emily et elle dut s'efforcer de ne pas pleurer. Elle se leva et partit chercher un livre sur l'étagère. Lorsqu'elle se remit à parler, elle dut masquer les sanglots qui pointaient dans sa voix.

" Tu veux que je te lise quoi ? Cendrillon ?"
"Non."
"La belle au bois dormant ?"
"Non."
"Blanche-Neige ?"
"Non."
"Qu'est-ce que tu veux alors ?"
"Ça !"

Emily se retourna et eut un choc en voyant le titre du livre que la petite pointait. Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire. Si cela avait été dans d'autres circonstances, Emily aurait été impressionnée par la manière dont Lisa l'avait conduit à lui révéler ce qu'elle désirait vraiment savoir. Là, elle était juste désemparée. Mais il ne fallait pas qu'elle se défile, la petite avait le droit à la vérité. Elle s'assit à ses côtés.

"Ce n'est pas réellement ça que tu veux. C'est par rapport au titre..."

La petite hocha la tête. Emily prit une grande inspiration et replongea dans les évènements qui s'étaient déroulés il y a un mois, rouvrant ainsi des blessures encore vives.

*FLASH-BACK*

Ce jeudi-là, personne ne travaillait dans les bureaux du groupe Lightman. En effet, c'était aujourd'hui que Cal et Gillian fêtaient leur dixième anniversaire de mariage. Ils avaient donc demandé à tous leurs employés de passer leur journée tranquillement chez eux. Mais au lieu de cela, ils s'étaient tous réunis en secret et avaient préparé une petite fête surprise. Lorsque tout fut prêt, Reynolds se chargea de les rappeler, sous prétexte d'une "affaire urgente". Après s'être fait copieusement enguirlander par Cal, il avait réussi à le convaincre de venir avec Gillian. La mauvaise humeur de Cal s'envola dès qu'il vit la raison pour laquelle Reynolds l'avait appelé. Durant tout l'après-midi la fête battit de son plein. Puis aux alentours de 19h, les mariés s'éclipsèrent pour aller dîner au restaurant, après avoir convenu avec Emily qu'ils viendraient chercher Lisa, leur fille de six ans, vers 23h30.
"Ou demain matin, si ta mère est déchirée !". La plaisanterie de Cal avait déclenché les rires et ils étaient partis. Emily était rentrée chez elle avec sa petite soeur et elle avait attendu. À 1h du matin ils n'étaient toujours pas venus, mais elle ne s'inquiéta pas plus que ça. Ce n'est que le lendemain, lorsqu'elle se réveilla, qu'elle commença à penser que quelque chose n'allait pas. Elle essaya d'appeler son père, puis Gillian. Répondeur. Alors qu'elle s'apprêtait à téléphoner au bureau, on sonna à la porte. S'apaisant enfin, elle alla ouvrir.

"Ha vous êtes là, je commençais à m'inq..."

Elle s'arrêta net lorsqu'elle vit que ce n'était ni Cal, ni Gillian qui se tenait devant elle, mais Ben. Il n'avait pas besoin de parler, elle avait compris. Elle n'avait pas besoin d'avoir hérité des talents de son père pour savoir qu'elle ne le reverrait jamais. Elle plongea son regard implorant dans celui abattu de l'homme qui se tenait en face d'elle.

"Ben... Je t'en prie, ne me dis pas qu'il est arrivé quelque chose."
"Je... je suis désolé...!"

Elle ne l'avait jamais vu comme ça. Et elle ne s'était jamais sentie comme ça. Cal... Gillian... En revoyant leurs visages dans sa mémoire, la douleur l'enveloppa entièrement, et un cri déchirant sortit de sa gorge. Elle n'avait plus conscience que des larmes qui coulaient à flots sur ses joues et du coup de poignard qui venait de lui être asséné en plein coeur, blessée au plus profond d'elle-même. Les jours suivants étaient étrangement flous. Elle n'avait saisi qu'à demi les mots prononcés par Ben ensuite.
Restaurant... soirée arrosée... pas dû prendre le volant... nuit... excès de vitesse... sortis de la route... accident... causes indéterminées... sûrement perte de contrôle... morts sur le coup... rien pu faire...
Elle savait que Ben essayait de lui expliquer, de la réconforter. Il voulait voir avec elle les dispositions à prendre. Pour eux, pour Lisa, pour elle. Mais elle n'écoutait pas. Tout ce qu'elle comprenait, c'est qu'elle avait perdu son père et celle qu'elle considérait comme une mère. Et cette souffrance avait jeté un long voile noir sur tout son être.

*FIN DU FLASH-BACK*

À la suite de ce récit, les deux soeurs pleuraient dans les bras l'une de l'autre. Depuis qu'elle en comprenait la cause, Lisa savait désormais que ses parents ne reviendraient jamais. Comme tout enfant de son âge confronté à cette terrible situation, elle n'avait pas réalisé précisément l'ampleur du mot "mort" lorsque l'on lui avait annoncé. Pour elle, ils allaient revenir. Elle savait à présent que non. Elle comprenait pourquoi tout le monde la regardait en souriant tristement, lui apportait des jouets. Elle comprenait aussi pourquoi Emily l'évitait, parfois. On lui avait tant répété qu'elle ressemblait à Cal et Gillian. Tout d'un coup, la vie lui semblait tellement éphémère. Elle jeta un regard furieux à ses livres et cria.

"Dans les contes de fée, les gentils meurent pas ! À la fin, ils se marient, ils ont des enfants et ils vivent heureux jusqu'à la fin de leurs jours. Pourquoi c'est jamais comme dans les livres, la vie ? Pourquoi c'est pas arrivé à Papa et Maman ?"
"Ils ont été heureux Lisa, crois-moi. Très heureux. Simplement la fin est arrivée trop tôt. Beaucoup trop tôt, quand personne ne s'y attendait. C'est ce qui différencie la vie et la fiction. La fin et le bonheur sont aléatoires. Lorsque l'on vit dans les contes de fée, un jour la réalité nous rattrape brusquement. Tu n'aurais pas dû avoir à l'apprendre si tôt."

Emily prit la main de sa petite soeur dans la sienne et la serra très fort.

"Et puisqu'on est dans le sujet... Dans ces fameux contes, les belles-mères et demi-soeurs ont toujours le mauvais rôle. Mais sache que Zoe et moi, nous serons toujours là pour toi."
"Je sais. Je t'aime Emily."
"Moi aussi Lisa."

À présent, elles savaient qu'elles pourraient peu à peu surmonter leur chagrin, ensemble.

La vie est un conte de fée qui perd ses pouvoirs magiques lorsque nous grandissons. [Robert Lalonde]