Bon, cette histoire me trottait dans la tête depuis un moment – pour moi, il manquait un passage entre la fin de Greater Good et le moment où l’on découvrait le choix du prénom. Je voulais le combler, j’avais commencé mais je n’avais pas de fin. Et puis ce matin…j’ai eu une idée. Boom. Je me suis dit que je pourrais l’écrire et vous la soumettre…
D’abord, parce que c’est toujours agréable d’être lu. Ensuite, parce que je serai curieuse de voir comment vous imaginez la scène, vous.
Bonne lecture !
I love Lucy…forever.
Jour J« Lucy.
- Lydia.
- Lucy. » Le couple Messer se disputait silencieusement au dessus du petit berceau de plexiglas où dormait leur fille, inconsciente que tout son futur se jouait. Danny avait passé un bras autour des épaules de sa femme, posé son menton au creux de son épaule et lui murmurait de douces paroles pour la faire céder. Mais, malgré la fatigue, malgré la douleur, la dite épouse ne semblait pas prête à lâcher le morceau. « Ce sera Lydia.
- Mais ça fait…vieux.
- N’importe quoi.
- Si, je t’assure. C’est…ça me fait penser à une vieille tante Lydia avec un poireau au menton. » Lindsay le considéra avec surprise. « Tu as une tante Lydia ?
- Non. Mais je pourrais – et…
- Donc, tu ne veux pas donner à ta fille le prénom de ta tante imaginaire ?
- Voilà. Lucy c’est beaucoup mieux. » La jeune femme secoua la tête. « Ne me dit pas que tu étais amoureux de Lucy Ball* …
- Non.
- Alors donne-moi un argument valable, et je verrai.
- D’abord, Lucy, ça veut dire ‘lumière’, et puis… j’aime bien la chanson des Beatles, tu sais…Lucy in the sky…Et dans le film Sam, I am Sam, j’ai toujours trouvé cette gamine…
- Je connais. » Manifestement, Lindsay n’était toujours pas convaincue. Alors, il déposa un baiser dans son cou. « A toi. Dis-moi pourquoi on devrait choisir Lydia. » Le sourire qu’elle lui adressa lui fit comprendre qu’il avait perdu d’avance. « Parce que j’ai souffert des heures pour mettre cette enfant au monde, sans compter les désagréments subis pendant neuf mois. J’ai le droit de choisir. Et puis Lucy in the Sky with diamonds, c’est une référence au LSD.
- C’est pas prouvé. » Elle haussa les sourcils, menaçantes. « Je crois que j’ai gagné… » Danny se mordit la lèvre, un peu gêné. « Quoi ? Tu le déteste à ce point là ? » Il lui adressa un regard désolé. « Si je te le dis, tu vas trouver que j’ai l’esprit tordu…
- Dan !
- Le truc, c’est que quand tu as proposé Lydia, j’ai aussitôt pensé à chlamydia (ndA : c’est une maladie sexuellement transmissible).» L’expression sur le visage de Lindsay ne laissait aucune place au doute : elle le prenait vraiment pour un pervers tordu. « Je t’assure, chérie. Si moi j’y ai pensé, tu peux être certaine que tous les ados de cette planète y penseront aussi… Lydia Chlamydia ; je ne veux pas que ma fille se fasse chambrer toute sa vie à cause de ça.
- C’est…
- N’importe quoi. Je sais. » Avec une moue implorante, il tenta. « Alors ? Je gagne ? » Sa femme leva les yeux au ciel, avant de regarder l’innocente petite fille qui dormait à ses côtés. Elle caressa le petit point serré, les cheveux blonds…La lumière, c’est vrai que ça sonnait pas mal. Quand aux ‘I love Lucy’ ou ‘Lucy, I’m home’ que sa fille pourraient entendre…ils seraient moins blessants que Lydia Chlamydia.
Danny esquissa un sourire victorieux en la voyant hésiter. Il allait gagner. Comme si elle avait deviné qu’on parlait d’elle, le bébé s’agita dans son sommeil, faisant de petits bruits. Le jeune homme sentit son cœur fondre – une fois encore. Tout doucement, il posa sa main immense sur le petit ventre de sa fille et se mit à fredonner le refrain bien connu des Beatles.
Cellophane flowers of yellow and green
Towering over your head
Look for the girl with the sun in her eyes
and she's gone
Lucy in the sky with diamonds
Lucy in the sky with diamonds
Lucy in the sky with diamonds, ahLe bébé se calma presque aussitôt – et il regarda à nouveau sa femme qui souriait, émue aux larmes. « Ok, souffla-t-elle, tu as gagné. C’est une Lucy. »
Dix mois plus tard…
Encore ensommeillé, Danny Messer tituba jusqu’à la cuisine d’où émanait une bonne odeur de café, de pain grillé. Lindsay était appuyée sur l’évier, la radio distillait un fond sonore et leur fille gazouillait paisiblement dans son transat. Il se pencha pour embrasse la petite, lui chatouilla le menton pour lui arracher un éclat de rire et alla voler un baiser à son épouse. Il sentit son cœur faire un bond brutal.
« Linds’ ? » De grosses larmes salées roulaient sur les joues de sa femme, bouleversée. « Qu’est-ce qu’il y a ?
- Elle est morte Dan.
- Quoi ? Qui ça ?
- Lucy. » Cette fois-ci ce ne fut pas un bond que fit son cœur, mais un arrêt brutal. Il eut littéralement le souffle coupé, comme après un violent uppercut à l’estomac. Il avait beau entendre sa fille pépier juste à côté, il avait beau venir de la toucher, de l’embrasser…une peur panique l’envahit soudain. « Qu’est-ce que…
- La petite fille de la chanson, Danny. Elle est morte ce matin. » Incapable d’en dire plus, Lindsay lui désigna le poste de radio du menton et il tendit l’oreille.
‘Ce matin, Lucy O’Donnel, devenue Lucy Vannen, est décédée à l’âge de 46 ans des suites d’une maladie auto-immune. La petite Lucy fut la muse de Jonh Lennon pour sa célèbre chanson ‘Lucy in the sky…’
Son fils Julian, alors âgé de quatre ans, revint de la maternelle début 1967 avec un dessin, qui, disait-il, représentait une de ses camarades nommée Lucy O’Donnell. En montrant ce dessin à son père, Julian décrivit son œuvre comme montrant « Lucy dans le ciel avec des diamants » (« Lucy in the sky with diamonds »). Plus tard, Julian Lennon raconta : « Je ne sais pas pourquoi je l’avais appelé comme ça ou pourquoi il s’est distingué de mes autres dessins. J’avais clairement de l’affection pour Lucy à cet âge. J’avais l’habitude de montrer à mon père tout ce que je fabriquais ou peignais à l’école, et c’est ce dessin-là qui a fait germer l’idée de cette chanson »
Selon le communiqué, Julian et sa mère Cynthia «sont sous le choc et attristés par la disparition de Lucy et leurs pensées vont à son mari et à sa famille».
Un peu troublé, le scientifique coupa la radio d’un geste brusque et attira sa femme contre lui. « C’est juste une histoire, Lindsay. Ça ne veut rien dire…
- On n’aurait jamais du l’appeler Lucy. Je n’aurai pas du t’écouter. On va changer son prénom !
- Mais…enfin, chérie…sois raisonnable. » Où était-elle passée, sa si pragmatique et logique Lindsay ? Sa Montana qui ne vivait que pour la science et les statistiques ? « Ce n’est pas parce que…
- Dan, articula-t-elle d’une voix étranglée. Si jamais il lui arrivait qu… » Il posa un index sur les lèvres tremblantes. « Ne pense pas à ça.
- Je ne peux pas m’en empêcher.
- Il ne va rien lui arriver, Lindsay. Regarde-la, regarde… » Dans son transat, Lucy avait attrapé son pied et tentait de le fourrer consciencieusement dans sa bouche, indifférente au drame qui se jouait à deux pas. « Elle est parfaite. En pleine forme. Tout va bien.
- Mais…
- Pas de mais. » Le ton virulent la fit sursauter. « Il n’arrivera rien à notre fille, un point c’est tout. » Lindsay le considéra avec gravité, troublée par le sérieux de ses mots. « Ok, souffla-t-elle en se blottissant contre la poitrine rassurante. Ok.
- D’ailleurs, je ne laisserai aucun ‘Julian’ ou quelque soit son nom s’approcher d’elle, grogna-t-il dans les boucles châtains. La jeune femme cacha son sourire dans la chemise parfumée. Tout irait bien…
Six ans plus tard…« Dis, Papa…pourquoi je m’appelle Lucy ? » Danny releva la tête de son barbecue et sourit à sa princesse blonde et rose. « Parce que c’est un joli prénom pour une jolie petite fille.
- Oui mais pourquoi ? Maman a dit qu’elle, elle voulait que je m’appelle Lydia.
- Papa a convaincu maman que Lydia était une mauvaise idée.
- Pourquoi ?
- Parce qu’il n’aimait pas ce prénom.
- Pourquoi ?
- Pourquoi tu veux savoir ça, toi ?
- Parce que Stella, elle dit qu’un prénom, c’est important. Ca peut définir ta pernosalité. » Il retint un sourire pour ne pas vexer sa fille, mais il trouvait ses efforts pour employer des mots d’adultes adorables. « Ta personnalité. Et alors ?
- Alors c’est quoi ma mienne, de pernosalité.
- Personnalité. » Les yeux bleus le toisèrent avec dédain. « C’est que qu’est-ce que je dis. Alors, papa ? » Danny s’agenouilla pour être à la hauteur, replaça une boucle blonde. « Tu connais la série I love Lucy.
- Yep. Donnie il dit que Lucille Ball, elle est canon. » Le scientifique grinça des dents, Flack allait lui payer ça. « Ça veut dire qu’elle est très belle, traduisit la fillette au cas où il n’aurait pas compris. Plissant les yeux, elle ajouta. « Ça veut dire que je suis très belle moi aussi ?
- Tu es très belle, Luce’. Mais ça veut surtout dire que je t’aime. Que tout le monde t’aime beaucoup…I Love You, Lucy Messer.
- Moi aussi, je t’aime Papa ! »
12 ans après…Lucy Messer, en toge d’étudiante, attendait patiemment la fin du discours du proviseur en relisant son texte pour la deux cent millième fois. Dans quelques minutes, elle serait officiellement diplômée. Major de sa promotion. Ses yeux bleus scannèrent la foule sans parvenir à distinguer ses parents dans la masse colorée des amis, proches, famille de ses collègues. Derrière elle, elle étend ses deux meilleures amies glousser à propos d’elle ne sait quoi. Mia et Jenny. Elles allaient lui manquer l’an prochain, lorsqu’elle intégrerait Princeton. Ils lui manqueraient tous.
« Et, maintenant, j’ai l’honneur de vous présenter l’élève la plus brillante de ces quatre dernières années – une jeune fille que j’ai personnellement suivie avec beaucoup d’attention. Je l’ai vue mûrir et déployer ses ailes comme un papillon… » Lucy roula des yeux alors que Jenny et Mia riaient de plus belle. Les métaphores du vieux Charlest étaient connues dans tout le milieu universitaire. « Aujourd’hui, elle va quitter cette école pour une prestigieuse université. Mais je vais la laisser vous expliquer tout ça. Mesdames, Messieurs, voici Lucy Messer. » Tétanisée, l’adolescente sentit soudain qu’on la poussait vers l’estrade. Elle regarda autour d’elle, perdue, cherchant désespérément un point d’ancrage dans la foule. Mais où étaient-ils ? Sa bouche s’ouvrit sans qu’aucun son n’en sorte.
«Mlle Messer. » La voix impatiente de Charlest. « C’est à vous.
- Oui… » Soudain, un sifflement strident la fit sursauter. Elle tourna la tête, et sourit. Ils étaient tous là, sagement assis dans leurs plus belles tenues. Ses parents, main dans la main. Son petit frère qui se tortillait sur sa chaise. Stella et Mac. Adam. Don et son épouse. Leurs jumeaux qui mâchouillent des chewing-gum. Syd. Sheldon. Sa grand-mère. Toute sa famille était là.
« Bonjour. Moi, je suis juste Lucy. Comme la Lucy d’I love Lucy. Comme celle de la chanson, comme celle des archéologues, comme celle du film Sam, I am Sam. Et bientôt, je l’espère, comme le Dr Lucy. Pas celle d’Urgence, non. » Un rire parcourut l’assemblée. « Comme ce médecin que je voudrais devenir. Je ne sais pas encore ce que sera la Lucy du futur. Mais je peux vous dire comment a été celle du passé : une écolière sage, studieuse, une jeune fille qui s’est épanouie dans cette école. » Elle eut un sourire malin. « Merci, Mr le Proviseur. » Redevenant sérieuse. « J’ai appris énormément au cours des dernières années… pas seulement à propos de Lénine, de chimie ou de Mark Twain. J’ai appris les vertus de l’amitié, du travail. Et je suis devenue cette fille un peu nerveuse qui se tient devant vous. Tout le monde a l’air de penser que j’ai fait quelque chose d’exceptionnel. Que je dois être fière de moi, la Major de promotion. La vérité c’est que je ne suis pas certaine de mériter ce succès. Je ne suis pas plus intelligente, plus travailleuse que les autres…J’ai juste eu une chance inouïe. Je suis bien tombée, comme on dit, au milieu de gens qui, eux, sont exceptionnels.
Alors, non, je ne sais pas encore qui sera la Lucy du futur. Mais il y a une chose dont je suis sûre : elle ne sera pas tellement différente de celle d’aujourd’hui. Elle sera toujours la fille de ses parents. La nièce de certains. La filleule d’autres. Tant qu’elle sera toujours entourée, choyée et aimée, elle continuera de faire de son mieux pour les remercier de toutes ces années qu’ils lui ont offertes... » La voix de la jeune fille trembla légèrement. «Je suis Lucy Messer. Fille de Daniel et Lindsay Messer et c’est la chose dont je suis le plus fière. Boom. »
FIN
NdA : *Lucy Ball était l’héroïne d’une série TV qui s’appelait I love Lucy. Culte.
Alors ?