Entre Central Park et les Everglades (Cross-over/Ship)

Stella se plaça un peu à l'écart du groupe qui s'était formé autour des mariés. Il lui fallait un peu de calme pour réfléchir. Il fallait aussi qu'elle prenne une décision terrible. Sa vie se jouait sur ce trottoir de Miami. Elle était dans une impasse. Tous les choix qui s'offraient à elle semblaient conduire inexorablement au même point : la mort. Sa seule chance était de rentrer à New York, mais là-bas elle serait seule avec un fils qui lui renvoyait et lui renverrait chaque jour l'image de son amour perdu. Elle n'arriverait même plus à regarder son propre enfant en face. Quand on n'est plus capable d'aimer notre raison de vivre, la solution s'impose rien que dans la formulation de la phrase. Quand Mac rentrerait, dans quel état la trouverait-il ? Serait-elle seulement encore vivante ? Aurait-elle eu la force de faire face à la culpabilité qui la rongeait au plus profond d'elle-même ? Elle s'entrevoyait déjà seule dans le grand appartement, qui lui paraîtrait noir et froid, hésitant entre les lames de rasoir ou les médicaments, cherchant quels mots employer pour expliquer son geste.
Elle jeta un dernier regard vers ses amis. Ils rayonnaient, irradiaient de joie, n'imaginant pas un seul instant ce qu'elle était sur le point de faire. Les larmes qu'elle retenait à grand peine se mirent à couler sur ses joues lorsqu'elle posa son regard sur Mac. Il était là, parlant et riant avec les autres, heureux du bonheur de jeune marié d'Adam qui avait été le sien quelques temps avant, loin de se douter que ce bonheur était à l'aube de sa fin. En le regardant, Stella ressentit son dernier remords. Elle savait qu'elle allait le faire souffrir. Mais lui pourrait se raccrocher à leur fils pour survivre, elle ne le pouvait pas. Et il n'était pas responsable de la mort d'Horatio. Il n'avait pas ce poids de culpabilité sur le coeur, qui le compressait, l'étouffait au point que la seule issue possible soit une issue fatale. Elle se résolut à agir tant qu'elle en avait encore le courage. Elle ne tenait pas à souffrir une seconde de plus. Elle sentait que si elle repoussait ce moment inévitable, elle finirait par faire du mal aux autres au lieu d'elle-même, son fils en première ligne et elle ne le souhaitait pas. Il valait mieux que cela se termine comme ça.
Après l'ultime regard, elle avança vers la voie rapide qui bordait la cathédrale. Si quelqu'un avait eu l'idée de jeter un coup d'oeil dans cette direction, il aurait vu cette jeune femme, en larmes, se diriger vers le flot incessant de voitures comme un automate et il aurait pu empêcher la tragédie. Mais personne ne regardait, pas plus les conducteurs des voitures que les invités, qui ne voyaient pas en ce jour l'ombre de la catastrophe planer sur eux. Mais ils furent tirés de leur utopie par un horrible bruit de freins, de crissements de pneus, de tôles froissés et surtout, par un hurlement qui leur glaça le sang. Instinctivement, ils se retournèrent vers la route et ce qu'ils virent finit de les achever. Une voiture blanche était arrêtée en plein milieu des voies. Derrière elle, plusieurs voitures s'étaient heurtées et tous les passagers étaient descendus pour voir ce qu'il s'était passé. Et comme les experts, ils virent que le capot immaculé de la voiture était devenu rouge de sang. Et quelques mètres plus loin gisait le corps de Stella Bonasera, elle aussi recouverte de sang. Elle ne bougeait plus.

"STELLA, NON !"

Mac se précipita aux côtés de sa femme, rapidement rejoint par Sheldon, les autres étant restés en retrait, horrifiés. Ce dernier tenta de lui prodiguer les premiers soins, le temps que les secours arrivent. Mac, de son côté, les yeux remplis de larmes, lui saisit la main.

"Stella ma chérie tu dois tenir, je t'en prie."
"Non Mac, laisse-moi... Je dois mourir."
"Ne dis pas ça, tu vas t'en sortir."
"Il a raison Stella, je vais te faire un garrot, les secours ne vont pas tarder, tu vas y arriver."
"Sheldon, Mac... je vous en prie, laissez-moi mourir."
"Mon amour, tu dois t'accrocher."
"Mac, tu m'aimes ?"
"Bien sûr que je t'aime, je t'aime comme un fou, alors..."
"Alors laisse-moi partir, c'est ce que je veux..."
"Non..."

Mac se mit à pleurer, serrant du plus fort qu'il le pouvait la main de Stella dans la sienne, comme s'il pouvait, à travers ce contact, lui faire passer son combat pour la vie. Mais le peu de forces qu'il restait à Stella lui servit à repousser la main de Sheldon qui tentait de comprimer sa blessure mortelle au niveau du coeur. Mais le coeur de Stella était déjà blessé bien avant qu'elle ne reçoive ce coup fatal. Et personne à part elle ne pouvait le comprendre. Dans un dernier murmure, elle soupira :

"J'ai pas pu faire autrement. J'ai essayé, mais c'était trop tard."

Mac n'eut pas de mal à reconnaître le passage d'un des livres préférés de Stella. Il n'aurait jamais pensé l'entendre de sa bouche autrement que lorsqu'elle le murmurait en même temps que ses yeux parcourraient les lignes qu'elle connaissait par coeur. Et le scénario du livre semblait s'adapter à la situation actuelle dans la mesure où il n'y eut pas de fin heureuse. Le coeur meurtri, dans tous les sens du terme, de Stella s'arrêta de battre dans l'ambulance. Tout le monde en fut dévasté, Mac plus que les autres. La fête avait tourné au drame. Personne ne put déterminer avec précision s'il s'agissait d'un malheureux accident ou d'un suicide. Mac décida de ne pas porter plainte contre le jeune homme qui conduisait la voiture. Pour lui, trop de vies avaient déjà été brisées ce jour-là. Il souffrirait bien assez comme ça. Et au fond, peu lui importait que ce soit un accident ou un suicide car dans les deux cas, il n'avait pas réussi à sauver la femme de sa vie, et elle était morte.